J’ai fait la connaissance de Stéphanie après le confinement. Une femme plein d’énergie, d’envies, mais aussi de doutes et de questionnements. Son expérience et son vécu pendant la période de fermeture de sa boutique de mode sont pour moi un véritable exemple de ce qui est possible lorsqu’on décide de ne pas subir. Lorsqu’on décide de faire d’une contrainte (absolument inédite, inattendue et majeure) une opportunité*. L’incarnation de ce à quoi je crois ! Et que j’avais évoqué dans mon tout premier article, né pendant le confinement.
Pour savoir comment Stéphanie a réussi à développer sa clientèle et son chiffre d’affaires pendant la fermeture de sa boutique, découvrez l’interview réalisée ce lundi 14 septembre 2020. Une interview sincère, souvent touchante et surtout motivante et inspirante !

Contexte
Après une première vie professionnelle en tant que comptable, Stéphanie, vous avez créé votre boutique il y a 2 ans et demi en mai 2018, sur la commune de Belleville Saint Jean en région Rhone Alpes, 10.000 habitants. L’objectif de CA n’a pas été atteint en 1ère année, mais l’année 2 a marqué une belle croissance avec 57% de hausse du CA. Le COVID et le confinement sont intervenus exactement au démarrage de votre 3ème année.
1) Quelles étaient vos motivations profondes pour ouvrir votre boutique de mode ?
Avant tout, travailler pour moi, après 20 ans dans la comptabilité qui se sont terminé sur un burn-out et une remise en question profonde. Au départ je ne savais pas sur quoi partir. J’adore le contact humain et j’adore la mode. J’ai eu plusieurs projets non aboutis, jusqu’à la création de la boutique Roga-Stélo Fashion, qui me ressemble. Je fais ce que j’aime et j’adore. Pour rien au monde je ne reviendrai en arrière !
2) Comment résumer l’univers de votre boutique en 3 mots clés ?
Chaleureuse – Conviviale – Chic !
3) A l’ouverture, comment vous êtes-vous fait connaître auprès de votre clientèle ?
J’ai distribué des flyers sur le marché et dans les boîtes aux lettres de la commune, par moi-même, par économie de budget. Puis j’ai communiqué sur Facebook.
4) Et par la suite, comment vous êtes-vous fait connaître ?
J’ai fait des parutions dans les journaux locaux, mais cela ne sert à rien ! Que ce soit un journal comme Le Progrès ou une petite revue locale distribuée à plus de 45.000 foyers, il n’y a pas de retours. Je le vérifiais en demandant aux personnes comment elles avaient connu la boutique, c’était d’abord par le bouche-à-oreille puis en passant devant, avec les jolies vitrines attrayantes.
5) Le 16 mars, vous apprenez que votre boutique ferme, quelle est votre réaction à chaud, sur le moment ?
Une catastrophe ! Et un sentiment de colère (rien que d’en parler je l’éprouve à nouveau). Pourquoi nous obliger à fermer ? Depuis le mois de janvier ma boutique prenait un tournant et là, on me coupait l’herbe sous le pied, on m’interdisait de faire ce que j’aime et de travailler. Cela voulait dire aussi pas de salaire, pas de chiffre d’affaires pour les charges de la boutique.
Pourtant en décembre j’étais prête à arrêter et déposer le bilan au 31 décembre, après les gilets jaunes… Mais mon entourage m’a encouragé à continuer. Et depuis janvier 2020, j’ai senti vraiment une montée en puissance avec la nouvelle collection, avec plus de personnes à venir et une augmentation du chiffre d’affaires.
Deux éléments ont été déclencheurs :
- En novembre j’avais organisé un défilé de rue lors d’un événement de voitures anciennes dans la commune. Je l’ai annoncé seulement quelques jours avant et j’avais fait imprimer un marque page. Cet événement a marqué les esprits avec les Harley garées devant la boutique et les mannequins qui sont descendues de vieilles limousines. Près d’un an plus tard on m’en parle encore, comme cette restauratrice il y a une semaine qui situait où était la boutique « ah oui c’est vous qui avez fait le défilé ! ».
- Ensuite j’ai fait réaliser par un professionnel une vidéo sur la boutique, à la fois façade et intérieur, plus des silhouettes portées par des femmes. Elle a contribué à renforcer la notoriété.
Aussi pour moi le confinement a été perçu comme fatal.
6) Quelles actions avez-vous mis en place pendant la fermeture, avec quels effets, quels résultats ?
Dépasser ses peurs et ses réticences…
Les premiers jours de fermeture de la boutique, j’ai continué à y aller, impossible pour moi de rester sans contact avec la clientèle. Au départ j’ai posté sur Facebook des photos de paysages, de fleurs, l’intention était de changer les idées des clientes, mais rapidement je me suis rendue compte que ce n’était pas ce qu’il fallait.
J’ai ramené quelques tenues de la boutique chez moi et fait des photos de looks, à plat par terre. J’arrivais à avoir 1 ou 2 « j’aime » sur mes posts, sans plus. Je me suis dit que si je n’avais pas plus de retombées, rien n’allait se passer, je n’allais pas avoir de commandes. J’ai commencé alors à voir sur les réseaux sociaux des célébrités qui faisaient des vidéos de chez eux, chant, musique, cuisine. Je me suis dit « pourquoi pas moi ? ». Et pourtant je suis une anti photo et caméra, je déteste me voir ! Je me suis dit qu’il fallait que je dépasse ce cap.
Le 1er avril je suis allée chercher des vêtements à la boutique que j’ai ramenés à la maison et j’ai enregistré une vidéo, publiée sur FB (pas Instagram, je ne maîtrise pas).
J’ai eu plus de 400 vues en moins de 2 jours !
De là sont nés les Lives, chaque mercredi et samedi à 17h, des rendez-vous fixes placés en fin d’après-midi, mais avant le dîner. Au départ il y avait quelques personnes connectées, mais ensuite beaucoup de vues en replay. Au fil du temps de plus en plus de personnes ont été présentes en direct sur les Lives.
Le 1er Live a duré 20 minutes, les personnes en voulaient encore, mais je n’avais pas assez de pièces avec moi et je ne souhaitais pas leur en montrer trop, pour garder de la nouveauté. Le Live suivant a duré 1 h. J’ai pris toute la collection qui me restait de l’an passé et l’ai proposée à prix promo. Les personnes étaient réceptives.
Les commandes ont commencé à arriver. J’ai dû booster mes fournisseurs pour débloquer les commandes en attente et avoir des nouveautés à proposer. J’ai vécu une très belle vague positive.
… La seule boutique de France à demander à être livrée de ses commandes 🙂 ?
7) Zoom sur le Live anniversaire ?
Le dernier Live était le 8 mai, c’était un live spécial car c’était l’anniversaire de la boutique, les 2 ans. C’était un déchirement pour moi de ne pas être dans ma boutique ce jour-là, de ne pas pouvoir être avec mes clientes. Ce Live sur Facebook a duré 2h30, avec jusqu’à 30 personnes connectées et plus de 1600 vues ensuite.
J’ai présenté de nouvelles pièces que j’avais gardé exprès pour cette soirée. J’ai fait des promotions, jusqu’à 50% sur l’ancienne collection. Jusqu’à 30% parfois sur certaines pièces de la collection en cours mais à manches, par exemple, qui ne se vendraient pas à la réouverture. Il pleuvait ce jour-là, le réseau était très mauvais. J’avais un code avec les personnes connectées : lorsque je voyais un petit bonhomme qui pleurait, je savais qu’il n’y avait plus de réseau. Je remettais la musique et je dansais jusqu’à ce qu’on me dise que le réseau était revenu .
J’ai réalisé un chiffre d’affaires que je n’avais encore jamais fait sur une journée en boutique ! Après le Live j’ai reçu énormément de message de partout et par tous les canaux. J’ai eu besoin de couper et j’ai repris le lendemain matin. La journée du dimanche a été consacrée à répondre aux messages !
8) Comment s’organisaient les commandes avec les clientes ?
Comme je n’ai pas d’articles à bas prix, les clientes ne réservent pas sans avoir un échange avec moi, elles préfèrent avoir des détails sur les pièces. A la fin des Lives j’avais beaucoup de travail pour répondre à tous les messages et les conseiller sur les tailles par exemple. Une fois la commande validée, le paiement se faisait par virement ou par chèque ou espèces, CB (rare), auquel cas j’allais à la boutique. Soit elles venaient récupérer leur commande à la boutique, sans contact et avec les gestes barrières, comme un drive, soit j’envoyais par la poste. Pas question de faire la queue, j’ai fait des envois de ma boite aux lettres magasin.
Sur plus d’une cinquantaine de commandes j’ai eu 2 retours seulement pour échange.
9) A La réouverture, comment s’est passée la reprise de la relation client ?
Je l’ai très bien vécue. Les clientes ont apprécié tout ce que j’ai fait pendant le confinement et tous mes efforts. Beaucoup de clientes veulent me récompenser ! J’ai mes clientes fidèles, mais aussi de nouvelles clientes qui m’ont découvert pendant les Lives. J’ai eu énormément de partage sur les réseaux sociaux. Elles ont découvert qui j’étais, comment je travaillais, ma convivialité. Mon concept : la personne rentre librement dans la boutique et peut repartir sans rien, ce n’est pas un souci !
Je fais quelques envois à distance pour des clientes lointaines, mais la clientèle qui s’est développée est majoritairement locale.
10) Est-ce que cette période de confinement a amené des changements durables dans votre manière de gérer votre activité ?
Je suis obligée de continuer les Lives !
A la réouverture je ne voulais plus faire de Lives, mais j’ai eu énormément de demandes, les clientes qui n’ont pas le temps de venir à la boutique, ou celles qui le considèrent comme un moment à elles en fin de journée. J’ai redémarré pendant les soldes, qui étaient trop calmes au début. Je faisais un Live une fois par semaine. Je présentais tous les produits, les clientes commandaient par Facebook ou venaient le lendemain et demandaient le numéro « x » (chaque produit avait un numéro !).
J’ai interrompu les Lives pendant les vacances puis les ai repris depuis la rentrée. Je fais un Live chaque semaine le mercredi à 18h30, pendant ½ heure, la boutique est ouverte mais c’est une heure tranquille. J’ai 400 vues en moyenne. Je n’ai plus trop le temps de regarder les statistiques, le rythme est très intense depuis la rentrée, avec la hausse des ventes, l’implantation nouvelle collection, l’administratif en retard…
11) Avec le recul, feriez-vous différemment sur cette période de fermeture ?
Je ne pense pas. Le confinement a été plus que positif pour moi et pour la notoriété de la boutique.
12) Aujourd’hui, quel est votre état d’esprit et comment voyez-vous l’avenir ?
Un chiffre d’affaires supérieur à la même époque l’an passé !
Je vis au jour le jour, je suis satisfaite parce que mon CA est supérieur à la même période de l’an passé, malgré les deux mois de fermeture, j’ai récupéré mon retard. Sur ce mois de septembre 2020 j’avais un prévisionnel avec une hausse de 30% par rapport à septembre 2019 et pour le moment je suis à près de 50% de plus. Le jeudi soir mon objectif de la semaine est réalisé.
Le jeudi est devenu une très grosse journée parce que les clientes viennent le lendemain du Live chercher les pièces qu’elles ont vu.
La hausse de la rentrée s’explique aussi par deux opérations spéciales :
- Une braderie le 31 août (dans ma boutique, rien n’est organisé au niveau de la ville), avec des prix à 10, 20, 30 et 40 €, pour faire partir le stock qui restait.
- Une nocturne le jeudi 10 septembre, de 19 h à 21 h, sur réservation à cause du Covid. 13 personnes se sont inscrites, j’ai fait venir une amie traiteur, c’était une très belle soirée et un très beau chiffre d’affaires (en plus du beau chiffre de la journée). Sur cette nocturne je ne fais pas de promotions. Il y a le coût du cocktail et surtout, comme je veux le mettre en place tous les 2èmes jeudis du mois, je ne peux pas mettre en place une promotion systématique.
Malgré tout j’ai encore du mal à me réjouir de tout ce qui passe parce que j’ai encore trop peur de devoir fermer la boutique à nouveau, par exemple si je suis cas contact. Je ne veux pas revivre l’absence de salaire et de chiffre d’affaires. J’ai tendance à me couper socialement, à ne pas sortir pour éviter de prendre un risque. Mais il est sûr que si cela venait d’une cliente, je ne maîtrise pas…
Et vous, commerçant·e qui lisez ceci, quelle est en cette rentrée votre principale difficulté ?

Si vous aussi vous souhaitez témoigner de votre vécu de commerçant de proximité durant la fermeture de votre boutique, de votre commerce, quelque soit votre secteur d’activité et vos ressentis, n’hésitez pas à me contacter.
* Sur la question de l’opportunité pour un entrepreneur, je vous invite à lire l’excellent article de Philippe Silberzahn sur son blog : “En situation de crise, les trois lignes de conduite du dirigeant” : accepter lucidement la réalité, engager des actions pour se mettre en mouvement, tirer partie d’une situation difficile. C’est exactement ce que Stéphanie a fait, mettant ainsi en pratique sans le savoir les principes de l’Effectuation !